Cyril
Hugues
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Brasil

Il est 2 heures du matin et nous sommes quelque part le long des côtes brésiliennes à 30 miles au large, au sud de l’archipel des Abrolhos. Je vais me coucher, j’ai pris le premier quart, et à présent Cyril me relaie.

C’est un peu devenu la routine, sauf que. Je dors moins bien cette nuit car j’ai une réelle appréhension : pourrait-on percuter une baleine ? Cela peut faire rire mais au regard des événements de la journée, c’est loin d’être impossible.

En effet, l’archipel des Abrolhos, 4 îlots minuscules et pelés dressés au milieu des récifs de corail, est un lieu de migration des baleines à bosse, un des meilleurs sites au monde. En saison, il en viendrait jusqu’ à 6000 pour se reproduire. Et ces très sympathiques animaux font allègrement sauter leurs 30 tonnes au dessus de l’eau car, avant de se reproduire, il faut bien s’amuser un peu.

Nous, nous avons eu la chance de pouvoir y aller avec Ratafia et d’y passer deux jours au mouillage, où nous étions seuls avec un autre voilier. Sur la seule île où nous avons pu débarquer-le reste est domaine militaire- on pouvait quasi caresser les oiseaux tellement ils sont peu habitués à la présence de l’homme. Nous avons visité cet îlot en même temps qu’une équipe d’étudiants en océanographie ainsi que le responsable local du parc (qui a dû cacher à sa collègue qu’on lui offrait de la bière sur le bateau). Bref, ambiance « Galápagos » assurée, et expérience unique ; je pense que dans quelques années il faudra prendre des bateaux spécifiques et payants pour y aller.

Pour en revenir aux baleines, c’est en quittant l’archipel qu’on les a rencontrées. On est en fin de saison et la plupart sont déjà reparties vers l’Antarctique où elles se nourrissent pendant l’été austral. On en a vu un grand nombre, et on était très près, trop près à certains moments. On a littéralement failli monter sur deux de ces bestiaux de 16 m, qui venaient en sens inverse, côte à côte, et pour qui la présence du bateau semblait être le cadet de leurs soucis. J’ai juste eu le temps de sauter sur la commande du pilote automatique et de repasser en manuel pour faire faire au bateau un écart de 40 degrés. Pendant quelques secondes je ne les ai plus vues et je me suis demandé si on allait les heurter avec la quille, avant de les voir réapparaître sur bâbord. La première était à 1 m 50 de la coque ; on aurait pu presque la toucher. Leur masse, le bruit de leur souffle, c’était vraiment impressionnant, et Cyril et moi, on s’est vraiment payé une petite frayeur.

Je ne vous raconte pas l’état d’excitation sur la bateau et les manoeuvres de dernière minute- nous étions sous voiles- pour se positionner, se rapprocher, s’écarter etc.

Certaines sautaient hors de l’eau, heureusement jamais trop près du bateau. En effet, il paraît qu’il arrive qu’elles retombent sur les bateaux, ce qui ne nous rassurait évidemment pas non plus. On a pu suivre un baleineau qui devait faire ses 6 m accomplis et qui semblait vouloir faire le malin en nous offrant un show spécial en sautant à 50 m de nous sous le regard bienveillant de sa maman. Je n’ai malheureusement pas réussi à le prendre en photo mais je pense que les autres photos que j’ai pu prendre rendront une partie de l’émotion du moment.

 

Notre arrivée au Brésil, après une traversée de l Atlantique sans histoire, s’est faite via l’île de Fernando de Noronha, petit paradis situé à 200 miles des côtes du continent sud américain.

La traversée entre Praia au Cap Vert et Fernando de Noronha a duré 10 jours et 4 heures pour une distance de 1250 miles, soit une moyenne de 5.13 noeuds. Ce n’est pas si mal si on sait qu’on a dû passer le fameux Pot au noir (Zone de convergence intertropicale), 4 jours de navigation dans les calmes, les vents irréguliers et dans les grains, et qu’on a utilisé le moteur seulement 22 heures au total. Krin nous avait rejoints pour la traversée et, grâce à elle, on a pu diviser les quarts de nuit en trois (21h -1H, 1h-5H, 5H-9H) ce qui nous faisait des nuits presque normales. L’ambiance était excellente à bord et cela a paru beaucoup plus court que ce à quoi nous nous attendions. On s’est baigné plusieurs fois. A un moment, en plein milieu de l’Atlantique, Cyril et Krin m’ont demandé de m’éloigner avec le bateau en les laissant barboter au milieu du bleu « pour voir l’effet que cela faisait ». Il faisait très calme et nous étions au moteur ; je ne me suis éloigné que de 150 m et déjà c’était le frisson garanti m’ont-ils dit. Cyril a très justement fait remarquer que ce n’était pas le moment de me payer un infarctus.

On a passé la ligne lors du 7ème jour de traversée. Et on a décompté et trinqué au moment où le GPS a affiché 00°00’ 000 de latitude. C’est la première fois que je passe l’Equateur en bateau, sur notre bateau qui plus est, encore un moment émouvant.

Coté météo, nous n’avons pas eu de conditions difficiles, quelques calmes et quelques grains. Dans le Pot au noir, on voit clairement les orages arriver sur le radar et on a le temps de préparer le bateau. Le plus gros grain que nous ayons pris nous a donné 40 noeuds de vent mais n’a duré qu’une heure, la mer n’a pas eu le temps de se lever et Ratafia s’est très bien comporté.

Nous sommes donc arrivés un beau matin en vue de Fernando de Noronha et nous y sommes restés 4 jours. C’est une réserve naturelle très préservée, interdiction de construire le moindre hôtel, seulement des « Pousadas » de maximum un étage. La conséquence, c’est qu’il est demandé, outre un droit de mouillage déjà exorbitant (ce qui est normalement gratuit ailleurs), une taxe d’environnement journalière super élevée à chaque visiteur de l’île. On ne trouve sur l’île- on s’en est rendu compte après 24 heures- que des touristes brésiliens très friqués, âge moyen 30 ans. Ils viennent tous en avion et les vieux et les enfants doivent être renvoyés dès l’arrivée à l’aéroport car on n’en voit guère. Nous, on a négocié un prix, en expliquant qu’on faisait un tour du monde et on s’est quand même vu offrir le quatrième jour gratuit. Sinon, l île est un réel paradis, plages de sable blanc, cocotiers devant un relief de collines et de falaises. On y a vu nos premières tortues marines, on pouvait les suivre en snorkling. Dès notre arrivée au mouillage sommes tombés sur une tortue nageant à quelques mètres du bateau, sympathique surprise après nos 10 jours d’Atlantique. Nous en avons évidemment profité pour faire deux plongées via un club local, l’endroit étant particulièrement réputé pour cela.

Ensuite cap sur le continent, Cabedelo, petit port d’entrée réputé pour la facilité de ses formalités. Les formalités : il faut être patient au Brésil, très patient. Entre l’immigration, la Receita Federale, la Police Fédérale et les Capitaineries tenues par la marine militaire (prière de venir rasé et en pantalon), comptez entre une demi journée et une journée si tout se passe bien, c'est-à-dire que ce n’est pas le week-end, que l’officier en charge n’est pas parti manger et que vous avez fait les choses dans le bon ordre. Et encore, on a pris le risque de ne pas passer par les autorités sanitaires, chose normalement obligatoire. Le pire c’est que chaque fois qu’on change de province ou de port dans les villes un peu importantes, il faut recommencer, au moins avec la police fédérale et la Capitainerie. Mais bon, cela se passe et dans une ambiance bon enfant, les brésiliens étant globalement très sympathiques.

Nous sommes restés 3 jours à Cabedelo, le temps de faire un barbecue près de la plage et la connaissance d’un jeune couple de français dont l’objectif premier était de partir, comme nous, dans le Pacifique en passant par la Patagonie, avec leur bateau de 11m et leur petite fille de 3 ans. C’est là qu’on se rend compte que les motivations peuvent s’émousser pour certains. Madame ne se retrouvait finalement pas dans le projet après une traversée de l’Atlantique difficile. Bref, c’est la larme à l’oeil que Monsieur nous a vu partir direction sud alors qu’il allait devoir finalement partir vers le nord, direction les Antilles et ensuite, probablement, cap vers la France. Espérons qu’il ne devra pas prévoir des frais d’avocat pour son divorce à l’arrivée mais l’ambiance ne présageait rien de bon. Madame s’occupant de la gamine et n’y connaissant rien en voile, c’est lui qui faisait tout sur le bateau pour la navigation, les manoeuvres, la veille, etc.. je lui tire mon chapeau, car déjà à deux ou à trois, ce n’est pas facile.

Dans un registre plus positif, on a également rencontré un autre couple de français, Jean Luc et Isabelle avec leurs trois filles de 5, 8 et 11 ans. Surprise, ce sont les mêmes Jean Luc et Isabelle que j’avais rencontrés lors de ma formation médicale en avril dernier. C’était assez amusant de se retrouver par hasard au milieu de la même crique à des milliers de kilomètres, après avoir recousu ensemble un pied de cochon quelques mois plus tôt. Je suis épaté de voir comment ils sont capables de combiner la gestion du bateau (un catamaran de 12 m parti pour un an autour de l’Atlantique) et de s’occuper de leur trois enfants, qui par ailleurs semblaient toutes vraiment apprécier l’aventure et s’éclater à fond. Visiblement l’équipe marchait du tonnerre, mais là tout le monde s’intéressait au bateau.

Nous, on a toujours la motivation intacte, espérons que ça durera. De toute façon une fois dans le Pacifique, c’est le point de non retour. Pour rentrer, il faut continuer vers l’Ouest (direction des vents portants). Des équipages comme le nôtre, nous n’en avons pas encore rencontré. Le plus souvent, outre les couples parfois accompagnés d’enfants, nous rencontrons des couples de retraités qui ont tout le temps devant eux, qui restent plusieurs mois au même endroit et qui voyagent depuis plusieurs années. Quand on leur dit qu’on a quitté la France le 20 juillet, ils nous regardent souvent comme si on était fous. On a beau leur expliquer que faire un tour du monde en 21 mois, c’est simplement un projet différent du leur, qu’il nous faudra revenir à la vie active après ce laps de temps, et que partir à nos âges est un choix qui implique des concessions sur la souplesse et la durée des escales, le message a parfois du mal à passer.

De Cabedelo, nous avons fait une navigation de 4 jours vers Salvador de Bahia où Geneviève et Bernard nous ont rejoints pour une semaine. C’est lors de cette navigation qu’a eu lieu la fameuse rupture de drosse de barre « pour la deuxième fois », racontée par notre amis Denis sur le site. Je tiens à rassurer tout ceux qui se feraient du mouron : outre le fait, comme l’a précisé Denis, que cela a effectivement été rapidement réparé, rien ne dit que cela recassera automatiquement. Même si le système n’a effectivement pas été conçu idéalement, nous pensons qu’en mettant plus de tension, cela évitera que la drosse sorte de sa poulie. En fait la cause de cette deuxième rupture n’a rien à voir avec celle de l’Aber Wrach six mois plus tôt. Dans le premier cas, c’était de l’usure de longue durée et le manque d’entretien, dans ce cas ci la drosse qui était neuve a été cisaillée en moins de deux heures car sortie de sa poulie.

Au rayon de la casse, on a également explosé notre spi asymétrique : le bateau est parti au lof, le spi a claqué, et s’est déchiré sur toute sa longueur. C’est fragile ces choses là. Il faut dire que c’est carrément de notre faute, le vent était monté, il aurait été plus raisonnable de l’affaler.

Le séjour à Salvador de Bahia vous a été raconté par mon ami Bernard sur le site. J’y ai appris que j’allais écrire un bouquin (NDLR : Bernard, même si il nous est arrivé d’abuser de la caïpirinha, il ne me semble pas avoir pris ce genre d’engagement). Encore faudrait-il que l’inspiration me vienne car si je devais un jour tenter d’écrire une histoire, ce ne serait certainement pas un livre sur le tour du monde.

A Salvador de Bahia, après le départ de Geneviève et Bernard, nous sommes partis 3 jours dans le parc national « Chapada Diamantina », à 500 km à l’intérieur du pays. C’était splendide, on a fait un trek de 2 jours et dormi à la belle étoile. Cela nous a changé de nos nuits à bord, c’était la première fois qu’on abandonnait le bateau, laissé en sécurité à la marina de Bahia.

Ensuite départ pour Rio, avec notre arrêt aux Abrolhos que je vous ai raconté ci-dessus. Sur la route, on a failli sortir une dorade coryphène qui devait faire plus d’un mètre. C’est malheureusement la canne à pêche de Cyril qui n’a pas résisté, victime de notre inexpérience. Le poisson en a profité pour se faire la malle alors que j’essayais de la harponner avec un crochet en acier pour le sortir de l’eau. La pêche à la ligne reste une source de frustration : on a réparé la canne, doublé l’épaisseur du fil, racheté un stock de leurres, de splendides pieuvres en caoutchouc très appétissantes, rien n’y fait, c’est l’échec. A part un poisson fin et long, tellement horrible avec ses dents, qu’on l’a remis à l’eau, on a rien réussi à sortir de valable. Le problème n’est pas que cela ne morde pas, mais cela casse aussi souvent que cela mord. Mais on continue.

Rio, où les amis de Cyril, Yohann et Guillaume, nous ont rejoints, fut une expérience : mélange de quartiers sympas et d’immeubles horribles des années 50 et 60, la ville est énorme et vraiment impressionnante; l’ambiance est particulière aussi. L’arrivée en bateau dans la baie de Rio, devant le pain de sucre était évidemment un grand moment. Je n’y étais jamais allé et pourtant je l’avais vu tellement souvent dans mes James Bond favoris. Copacabana était très décevant : c’est franchement moche, on se serait cru devant le charme de l’urbanisme de la côte belge mais avec quelques palmiers en plus et un coté encore plus vieillot. En plus, ça craint vachement. Ipanema est mieux, mais plus par l’ambiance que par l’esthétisme. Il règne par contre une activité « toute brésilienne » à Lapa, quartier près du centre qui nous a vraiment plu et dont certains immeubles ont conservé leur architecture coloniale. On est également allés voir Santa Teresa, le «Montmartre » de Rio, sur un petit tramway qui ne manquait pas de charme- et de rencontres pour certains.

Ce qui frappe, c’est la vitesse à laquelle la ville s’est étendue, l’envahissement successif et méthodique de toutes les plages de la côte par cette urbanisation folle et la pollution de l’eau que cela entraîne- je ne me serais pas baigné. Ce qui frappe aussi, c’est qu’à quelques centaines de mètres du centre ville, à flanc de colline, il y a des favelas à perte de vue. On sent physiquement, encore plus qu’à Bahia, une insécurité latente dans beaucoup de quartiers du centre. On comprend aussi mieux, en voyant la proximité des favelas, l’interaction qu’elles jouent avec la partie plus riche de la ville, offrant de la main d’oeuvre à bon compte. En effet dans les restos, les cafés, même certains magasins, ce sont des habitants des favelas qui viennent travailler la journée.

Tout cela sous l’oeil bienveillant du « Corcovado », le fameux Christ aux bras ouverts perché en haut de sa montagne.

Le soir on sortait de notre marina super sécurisée (1) (gardes 24h/24, badges d’accès) sans rien sur nous, pas de papiers, pas de cartes de crédit, si ce n’est l’équivalent de 40 euros en liquide. On est sorti à Lapa, où nous avions notre resto « typique brésilien populaire » et à Copacabana. En taxi évidemment.

Après une semaine à Rio, sous un ciel très souvent gris, nous sommes partis pour Ilha Grande et Paraty, 80 milles à l’ouest. Là, on s’est reposé dans ce qui a été baptisé les « Caraïbes brésiliens ». Ilha Grande est vraiment sauvage, étonnamment préservée (alors que proche de Rio et de Sao Paulo), couverte de forêt tropicale et nous offrant un mouillage de rêve digne d’une couverture de brochure d’agence de voyage. On est tombé sur un alligator de 2,5 mètres lors de notre promenade vers la plage de l’autre coté de l’île; on ne s’attendait vraiment pas à voir ce genre de bestiole à cet endroit là. A Paraty, petite ville coloniale pleine de charme, nous avons fait nos adieux à Yohann et Guillaume qui rentraient sur Rio et ensuite Strasbourg.

A suivre : prochain épisode: aventures en Patagonie

(1) Au Brésil, la plaisance reste clairement une activité de « très riche » : les marinas (en fait des « clubs nautiques ») sont souvent chères, très sécurisées (avec gardes privés, des caméras etc..), pas nécessairement accessibles. On nous a refusé l’accès du club nautique de Rio, arguant qu’il fallait faire « une demande officielle » via notre club en Belgique (pour un tour du monde, je vois mal nous inscrire dans un club, mais ça ils ne le comprennent pas). De plus, un club nautique offre en général piscine, tennis, restaurant et plein d’autres activités, tant et si bien qu’on a l’impression que les brésiliens qu’on y rencontre y font finalement bien peu de bateau et utilisent leur membership comme signe d’appartenance à la plus haute classe sociale.