Cyril
Hugues
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Pacifique sud – 30 octobre 2009


Cela fait longtemps que je n’ai plus écrit, donc autant vous prévenir, le texte est assez long (un peu plus de 7 pages A4). Si vous êtes au travail, servez vous un café et assurez vous que votre patron est suffisamment loin. Si vous êtes chez vous, imprimez ces pages, faites vous couler un bain, mettez y les poissons en plastique que vous aviez offerts il y a bien longtemps à vos enfants et approchez de la baignoire la grande plante tropicale du salon, qui pour une fois aura une utilité … cela vous mettra dans l’ambiance.


La fameuse ambiance « Pacifique sud »…. Le rêve de tous les navigateurs paraît-il. Cet endroit du globe qui, pour beaucoup, doit être le « clou » du spectacle de leur tour du monde.

Autant le dire tout de suite, c’est vrai que le Pacifique sud –du moins ce qu’on en a vu- n’a pas volé sa réputation. Il est impressionnant par ce côté à la fois paradisiaque et immense. Ici, on trouve vraiment des îles désertes avec des cocotiers, des lagons de toutes les tonalités de bleu, des coraux à profusion pleins de poissons multicolores….. comme dans les clichés qu’on s’en fait. Ici, on se dit que la planète mettra encore du temps à mourir, tellement tout semble si préservé et si loin de tout - même si je sais que ce n’est malheureusement qu’une fausse impression.

La traversée de cet océan sur 9000 miles (17000 km) de Puerto Montt (Côte du Chili) à la Papouasie Nouvelle Guinée, m’a beaucoup plu par son côté « Robinson Crusoë » ou « snorkeling et cocotiers », mais aussi, dans sa dernière partie, par la découverte de peuples et de cultures complètement retirées du monde, du moins celui que nous connaissons.

En termes de voile, mis à part la longue durée des traversées à cause des grandes distances, cela ne m’a pas semblé représenter de défi particulier. En effet, nous n’avons eu aucune difficulté majeure, les pires choses qui nous soient arrivées étant de déchirer le génois dans un grain aussi bref que violent ainsi que de devoir faire une semaine de près, le bateau transformé en shaker dans une mauvaise mer, pour atteindre les Marquises. Bon, c’est vrai que j’aborde ce dernier point avec légèreté aujourd’hui, mais en réalité Cyril et moi en avions vraiment ras le bol à l’arrivée, complètement exténués que nous étions à vivre sur ce bateau gité et tanguant en permanence 7 jours et 7 nuits d’affilée.
Pour la navigation, et son côté isolé et grandiose sans pareil, la Patagonie fut une expérience unique, pour le côté «choc des civilisations», le Vanuatu ou la Papouasie Nouvelle Guinée resteront à jamais gravés dans ma mémoire.
Avant de m’étendre sur ce qui m’a marqué dans cette partie de voyage, une brève description chronologique de notre itinéraire depuis ma dernière lettre s'impose.

Nous sommes restés quinze jours à Puerto Montt (Chili), le temps de faire les réparations nécessaires au moteur qui avait beaucoup souffert du fuel de mauvaise qualité chargé à Ushuaia (injecteurs endommagés), de changer de système de presse étoupe, et de procéder à un gros avitaillement.
- Départ le 7 avril pour une navigation de 2400 miles (4500 km), soit 17 jours de mer jusqu’à l’île de Pâques. Bref arrêt de 4 jours.
- Le 29 avril nous repartons pour une navigation 2200 miles (4000 km), soit 14 jours de mer, jusqu’aux Marquises. Nous sommes restés 2 mois dans les archipels de Polynésie française : 3 semaines aux Marquises, 3 semaines aux Tuamotu, 2 semaines à Raiatea (îles sous le vent) pour sortir le bateau de l’eau et faire l’entretien de la coque.
- Bref arrêt à Bora Bora et surtout à Maupelia, dernier petit atoll de Polynésie française perdu 200 km à l’ouest des îles sous le vent ; 6 habitants et deux ravitaillements par an- cela contraste avec Bora.
- Le 15 juillet, départ pour les Tonga, traversée très rapide : 7 jours et demi pour faire 1200 miles (2000 km) ; nous restons deux semaines aux Tonga
- Le 8 août, veille d’un anniversaire important, nous arrivons aux îles Fidji après 4 jours de mer. Au bout d’une semaine sur place, décision est prise de faire repeindre complètement la coque du bateau. En effet, nous avions constaté à Raiatea son état lamentable et, vu le faible coût des travaux qu’on nous propose, Ratafia ressort de l’eau pour la deuxième fois en deux mois. Nous restons 3 semaines aux Fidji.
- Au moment de remonter le gouvernail, un ouvrier endommage le pilote automatique. Heureusement, c’est réparable et c’est avec deux jours de retard sur le planning que nous partons, le 28 août pour le Vanuatu (ex Nouvelles Hébrides) où nous arrivons le 1er septembre.
- Après avoir passé 3 semaines au Vanuatu où Sophie m’a rejoint, nous sommes à présent depuis deux semaines en Papouasie Nouvelle Guinée.

Bref, on peut dire qu’on bouffe du mile et on s’accorde à penser que ce tour du monde est un peu trop rapide
mais on ne peut pas tout avoir.

On aurait en effet souhaité pouvoir passer plus de temps dans certains endroits, ou s’arrêter dans plus de mouillages, mais ici, les distances sont telles et les îles si nombreuses, que la vie d’un homme ne suffirait pas à faire le tour de tout ce qu’il y a à voir. J’ai eu l’occasion de voir déjà tellement de choses que parfois je me demande si j’étais dans la réalité, si je réalisais pleinement. Je me demande comment je repenserai à cela à posteriori, dans quelques années.

Par certains aspects, les îles que nous avons rencontrées lors de cette traversée du Pacifique présentent un certains nombre de similitudes, mais aussi de gros contrastes : par la route que nous avons prise, le climat est à peu près le même partout – le ciel est souvent nuageux, les températures élevées et, d’un point de vue météo pour la navigation, on ne craint que les orages qui peuvent être très violents. Pour moi, une plage avec des cocotiers reste une plage avec de cocotiers, seule l’agressivité des moustiques change de l’une à l’autre.

Ce qui apporte une diversité certaine dans la beauté des îles, toutes volcaniques, c’est qu’elles sont à différents stades d’évolution : atolls plats aux Tuamotu formés seulement d’une barrière de corail avec des cocotiers et entourant un lagon, îles montagneuses au Vanuatu ou aux Marquises avec une végétation luxuriante, combinaison des deux dans les îles sous le vent ou ici en Papouasie.

Le rythme de vie est à peu près le même partout : tout sauf stressant, ce n’est pas une image, c’est la réalité. Encore que là il y ait des nuances : dans les îles les plus pauvres (Vanuatu, Papouasie, ..) on se contente de cultiver son morceau de terrain, d’élever quelques poules et quelques cochons et d’aller occasionnellement à la pêche, le tout, uniquement pour ses besoins personnels et ceux du village. Il n’y a pour ainsi dire aucun commerce à part un peu de Coprah (exploitation des noix de coco pour en faire de l’huile) et de sylviculture, entreprises qui sont toutes aux mains des australiens qui règnent en maîtres incontestés dans la région.

Dans les îles les plus riches (entendez la Polynésie française), on affiche une nonchalance marquée, en attendant, à l’ombre de son 4X4 neuf, les subsides massifs de l’état français. Ici tout est neuf : les bâtiments publics, les routes etc. Le salaire des fonctionnaires est plus du double de ceux de la métropole, sans compter le logement de fonction dans beaucoup de cas. La culpabilité liée aux essais nucléaires a clairement coûté très cher au contribuable français. J’ai perçu les polynésiens en moyenne beaucoup moins souriants et beaucoup plus blasés que les habitants des îles plus à l’ouest, qui semblaient beaucoup plus heureux, alors que dans ce dernier cas certains villages ne possédaient strictement rien.

Enfin, autant casser un mythe: les filles sont invariablement moches du Pacifique est au Pacifique ouest : En Polynésie, l’image de la Vahiné est une arnaque complète pour attirer les touristes, en réalité elles deviennent énormes dès 18 ans ; quant à celles que nous avons actuellement devant nous en Papouasie, leur bouche et leurs dents rouges sang, résultat du « betelnut chewing» (noix d'arec) auquel tout le monde s’adonne ici , feraient fuir le plus grand adepte des films de Dracula.


 

 

Dans l'ordre chronologique

Pour reprendre les choses au début, notre premier arrêt fut l’île de Pâques et ce qui m’a marqué, outre le fait que c’était avec grand soulagement et bonheur que nous l’avons vue apparaître à l’horizon après plus de 4500 km de traversée, c’est l’impression « extraterrestre » que j’ai ressentie en me promenant au milieu de toutes ces statues (les mohaï). Cette impression est sans doute encore renforcée par le côté volcanique de l’île et ses cratères impressionnants ainsi que par son caractère d’île habitée la plus isolée du monde en terme de distance au prochain lieu peuplé d’êtres humains. A travers ces statues – certaines sont énormes, d’autres non achevées ou encore couchées car laissées là en plein «transport» vers l’autel auquel elles étaient destinées, d’autres enfin sont brisées – on revit aussi le drame du passé lors duquel les différents clans se sont allègrement entretués pour ne laisser que quelques centaines d’habitants survivants après avoir été plusieurs milliers. La réputation de l’île en tant que « mouillage peu abrité et dangereux » n’est pas usurpée : on a du changer daredare Ratafia de place pour aller s’abriter de l’autre côté de l’île, le vent ayant tourné brusquement. La liste des yachts coulés ou éventrés sur la côte est longue.

Aux Marquises, les photos parlent d’elles mêmes : les îles ont un côté grandiose que l’on ne rencontre nulle part ailleurs avec des escarpements et des pics rendant la topographie presque agressive, inquiétante parfois. C’est aux Marquises qu’on a revu plus de bateaux ; en effet c’est là que se fait la jonction avec tous les bateaux qui passent par le canal de Panama pour s’engager dans le Pacifique sud. Si j’y ai trouvé des paysages à couper le souffle avec une végétation incroyable, que j’y ai nagé avec des raies Manta et des dauphins, j’ai aussi eu le malheur de pêcher au harpon une splendide carangue de 3 kilos, que les locaux nous ont affirmé être totalement comestible. Nous l’avons dégustée sur la plage au barbecue en compagnie d’un couple d’américains innocents qu’on avait invités pour l’occasion. La suite vous la connaissez déjà par les brèves que Cyril a fait parvenir au site: la ciguatera a frappé fort et nous sommes sans doute recherchés par la marine des Etats unis. Ceci d’autant plus probablement que, outre les deux victimes innocentes qui ont du être bien malades, une troisième est certainement tombée au champ d’honneur de la bannière étoilée : le petit chat d’un couple de retraités d’un autre bateau américain. Monsieur s’était en effet proposé de nous montrer comment découper les filets du poisson et en a prélevé un morceau pour son matou. Désolé pour les âmes sensibles, mais l’animal, fidèle compagnon depuis des années de ce couple esseulé sur son yacht, confident aux heures de crise les plus sombres de leur mariage, n’a certainement pas survécu. Les livres et articles que nous avons consultés à postériori sont formels, le chat, même américain, est très sensible à la ciguatera qui lui est fatale, au point que les locaux l’utilisent comme « goûteur » en cas de doute.
Il ne fait pas bon être chat en Polynésie.

Aux Tuamotu, changement de décor, bienvenue dans le royaume des atolls plats. Ici, on ne parle plus de végétation luxuriante ou de fruits et de légumes énormes et à profusion comme aux Marquises, mais de lagons aux eaux cristallines bordés quasi exclusivement de cocotiers sur des bandes de terre (ou de sable de corail devrais-je dire) ne dépassant pas quelques mètres de haut et rarement plus de quelques dizaines de mètres de large. Cela a tout l’air du paradis, tellement cela ressemble aux cartes postales, mais pour ceux qui y habitent, cela peut vite devenir l’enfer : peu de choses poussent, pas d’eau à part ce que la pluie veut bien apporter, et c’est une région du monde totalement isolée, seuls les quelques atolls principaux étant affublés d’une piste d’atterrissage. Il y a des récifs partout rendant notre navigation périlleuse à cause des « patates de corail » omniprésentes et des violents courants dans les passes d’entrée des lagons. Une seule technique dès qu’on rentre dans les atolls: naviguer avec le soleil assez haut dans le ciel et quelqu’un en permanence à l’avant du bateau.
Outre leur attrait par ce côté « Robinson Crusoë », c’est aux Tuamotu que j’ai été le plus impressionné par la faune sous marine : une densité et une diversité de poissons multicolores comme nulle part ailleurs, des tortues, des murènes, des dizaines de requins …. Bref, des heures passées dans l’eau à faire du snorkeling. Le corail n’est pas exceptionnel par contre, nous en avons vu de beaucoup plus beaux au Vanuatu ou en Papouasie Nouvelle Guinée.

Un mot sur les requins qui sont omniprésents: tant qu’on n’essaye pas de les caresser ou qu’on ne traîne pas à côté de soi du poisson chassé au harpon, les requins de récif ne sont pas dangereux. Au début, cela fait bizarre de nager aussi près d’eux, mais la plupart du temps ils ne font même pas attention à vous, et on finit vite par s’habituer, la curiosité et l’excitation de voir un si beau spectacle gagnant largement sur l’appréhension. Les plus impressionnants étaient probablement les requins gris dont les plus gros devaient atteindre la taille d’un homme. En fait j’ai vraiment réalisé que tant qu’il fait jour, que l’eau est claire et que je vois ce qui se passe autour de moi (le fond, les poissons..), je suis totalement rassuré. Là où les phantasmes de type « dents de la mer » commencent, c’est lorsque je ne vois pas le fond, qu’on est en fin d’après midi et que la visibilité tombe. Ou qu’une andouille de moniteur de plongée vous dit qu’il a vu deux requins tigres - dont un de 5 mètres- dans le lagon de Fakarava il y a une semaine, l’endroit même où vous nagez tous les jours. C’est vrai qu’à plusieurs occasions, en fin d’après midi, en nageant les 100 ou 200 mètres qui séparaient le récif de corail du bateau à l’ancre, je ne pouvais m’empêcher de cogiter et inconsciemment de palmer plus vite. Plus loin, aux Fidji, au Vanuatu ou en Papouasie, il y a des endroits franchement déconseillés pour se baigner, quelques touristes ayant constaté les années précédentes à leur frais la logique de fonctionnement de la chaîne alimentaire en milieu marin.

Nous avons ensuite fait une pause technique de 15 jours à Raiatea (îles sous le vent) pour caréner le bateau et accessoirement rencontrer un couple de belges haut en couleur – Ghislaine et Benoît qui naviguent autour du monde depuis 17 ans et que nous reverrons normalement en Thaïlande.

Nous n’avons pu quitter la Polynésie sans pouvoir nous empêcher de faire deux petites haltes – non prévues : l’une de 2 jours à Bora-Bora, haut lieu des hôtels 4 étoiles sur pilotis dans un lagon vendu comme « le plus beau du monde » (c’est vrai qu’il est pas mal, mais c’est trop touristique à mon goût), et l’autre de 3 jours à Maupelia, dernier atoll à l’ouest et loin de tout avec seulement deux ravitaillements par an. Là, après être rentrés par une passe étroite avec énormément de courant, nous avons sympathisé avec la seule famille qui y vivait. Pendant ces 3 jours, au programme : dégustation de langoustes et de crabes de cocotier, visite des îlots des environs, chasse au harpon dans la passe et chasse au cochon, ces derniers ne mettant pas beaucoup de bonne volonté pour se laisser embarquer sur le prochain bateau pour être vendus- on a bien rigolé. Dans cette famille, il y avait un jeune couple et la femme venait d’avoir eu son troisième enfant. Dès qu’il serait sevré, il irait rejoindre à Bora-Bora , à 200 km, sa grand-mère et ses deux aînés. La mère reste sur l’atoll avec son mari, exploitant le coprah – drôle de vie. Moment émouvant en tous cas, que d’avoir partagé avec cette petite famille, coupée du monde, ces quelques jours et d’avoir pu bénéficier de leur générosité totalement désintéressée.

Des 12 jours passés aux Tonga, je retiendrai surtout l’ambiance au yacht club le soir (le premier qu’on a vu depuis longtemps), en particulier le vendredi, jour de la régate à laquelle nous avons évidemment participé (et terminé 5 èmes). C’est là que nous avons rencontré Jimmy, un vieux skipper américain qui voyage depuis des années dans le Pacifique. Avec son petit bateau sorti d’un musée, son langage de charretier, les joints qu’il fumait, la quantité d’alcool qu’il ingurgitait et son éternelle bonne humeur, Cyril et moi ne pouvions pas ne pas le trouver sympathique ainsi que les deux italiens, Sofia et Vitto, qu’il avait embarqués en Nouvelle Zélande. Ils ont mis 24 jours pour la traversée vers les Tonga, là où la plupart des bateaux en mettent 10 ; Vitto n’était plus nourri qu’avec de l’eau sucrée tellement il était malade, et ils sont montés sur un récif, sans dégâts pour le bateau, fort heureusement. Ils sont arrivés entiers et pour une première expérience de voile, cela n’a pas découragé Vitto qui embarquait quelques semaines plus tard avec nous pour les Fidji.

Aux Fidji, nous avons passé quelques jours dans la région de Savu Savu, au nord est et ensuite sommes allés à Port Denaru, marina moderne totalement artificielle et aseptisée, pour faire repeindre complètement la coque de Ratafia. Initialement, nous voulions attendre le mois de janvier en Thaïlande pour faire les travaux mais eu égard au comparatif de prix, il nous a semblé beaucoup plus intéressant de le faire aux Fidji. Nous avons donc passé 15 jours dans cette marina à suivre les travaux, entre le Ed’s bar et le Cardoz, des bars restos où nous étions connus comme des vieux sous à l’issue de ces deux semaines. Là, nous nous sommes fait inviter à dîner par des Chinois, car nous avons fait connaissance d’un petit groupe d’expatriés, qui géraient 200 ouvriers, également tous chinois, pour la construction d’un hôtel. La chef de salle au restaurant a frôlé la crise d’apoplexie lorsque elle constata qu’ils mangeaient leurs fruits de mer à même la table et non dans leur assiette, pour terminer en écrasant leurs mégots de cigarettes dans le petit tas de coquilles diverses qu’ils avaient accumulées sur la nappe. Le formatage politique n’est pas un vain mot- j’imagine qu’ils sont triés sur le volet avant de partir à l’étranger- nous avons eu l’occasion de constater que tous les sujets sensibles étaient d’office soigneusement évités. Mais nous avons passé une excellente soirée sur le compte du parti communiste chinois.

La traversée vers le Vanuatu fut rapide et sans surprise. A l’arrivée, le service sanitaire, particulièrement sévère, nous a obligés de jeter toute la viande qui nous restait (près de 2 kg) ainsi que les œufs, les fruits et légumes et même les boîtes de crème fraîche et le beurre. Je ne sais pas ce qui se serait passé s’ils avaient soulevé les planchers du bateau et étaient tombés sur les boîtes de pâté, de poisson et les conserves de beurre qu’on a en quantité industrielle. Nous avions soigneusement planqué le vin en sous 300 kilos de voiles, en fait cela ne les intéressait pas du tout.

Au Vanuatu, un nouveau monde s’ouvrait à nous : celui des villages très retirés du monde, de l’ancrage encore très présent de leur culture traditionnelle : le chef du village à qui il faut se présenter absolument et l’accueil parfois très formel, le « Nakamal », type de place centrale située généralement sous un énorme banian et où ont lieu les réunions tribales, les décisions de « justice », les fêtes traditionnelles ainsi que la dégustation du Kava, une espèce de drogue douce, décoction à base de racines, que Cyril a rapidement adopté- moi, j’ai essayé, mais je trouvais cela infâme.

Si le cannibalisme était déjà présent dans l’histoire d’autres îles qu’on a rencontrées sur notre route, ici cette réalité devenait très évidente. Les autochtones en parlent assez facilement, expliquant entre autre que leur grand père le pratiquait encore et les sites sacrificiels ne manquent pas. Le dernier cas connu en Papouasie Nouvelle Guinée date de 1969 et quand on pose la question si cela a totalement disparu – il y a encore aujourd’hui des guerres tribales entre villages reculés- on nous répond en souriant : qui sait ce qui se passe vraiment ? Mais bon, même dans les villages perdus au milieu de la jungle, entouré d’une multitude de villageois la machette à la main et au visage à la morphologie peu rassurante – ils ont parfois des têtes très impressionnantes- je ne me suis jamais imaginé terminer au fond de la marmite ou au barbecue. Ce qui nous a chaque fois frappés, c’est leur extrême gentillesse.

Au Vanuatu, Sophie et moi avons pris un avion pour passer une semaine sur l’île de Tana dans le sud de l’archipel. C’est là que nous avons fait connaissance avec nos premiers villages « typiques» et aussi la dure réalité de la condition de la femme : c’est une constante que l’on retrouve également en Papouasie, il se dit qu’elles valent moins qu’un cochon. En tout cas, en Papouasie, on nous a expliqué que dans les endroits reculés, tuer la femme d’un autre coûte 5000 Kina (soit + /- 1500€). Si vous payez cette somme au mari pour le dédommager, l’histoire s’arrête là car il sera satisfait de la transaction. Même si nous n’y avons jamais été directement confrontés et avons toujours fait l’objet de la gentillesse et de l’attention de tout le monde, ce qui est appelé ici la « violence domestique » est un réel problème : des femmes enceintes meurent régulièrement car battues, et de temps en temps un coup de machette se perd- en tous cas à en croire un médecin allemand qui travaillait en coopération ou la Consule italienne en Papouasie que nous avons croisés. Moins dramatique : quand nous étions invités à manger, seuls les hommes mangent avec nous. Ou, lorsque ils prennent du kava, il est interdit aux femmes de les regarder – scène cocasse que nous avons vécue : Sophie et moi marchions sur un sentier à Tana et, étant tombés par hasard en bordure de village sur un site où un groupe d’hommes consommait du kava, il fut demandé à Sophie de regarder le bout de ses souliers le temps qu’on passe à leur hauteur.

A Tana, nous avons eu la chance de visiter le Mont Yasur, un volcan en activité et –dit on- un des cratères au monde les plus accessibles. Effectivement, on va vraiment tout au bord du cratère ; le sol sous les pieds tremble lorsque les explosions envoient à cent mètres de haut des geysers de lave incandescents. La balade sur le volcan commence un peu avant le coucher du soleil et, de nuit, le spectacle est vraiment de toute beauté et très impressionnant.

De retour de Tana, nous avons rejoint Cyril qui était resté avec le bateau à Port Vila, et sommes partis en navigation vers le nord en s’arrêtant dans beaucoup de très beaux mouillages, entre autre au sud et sur la côte est de Malekula. C’est lors de cette navigation que nous avons eu la chance de voir un dugong (= type de Lamentin qui habite ces régions) qui nous a laissés nager à côté de lui pendant qu’il aspirait placidement les herbes du fond la baie.

Après un bref arrêt à Luganville pour faire nos formalités de sortie du Vanuatu nous voilà partis pour la Papouasie Nouvelle Guinée. Mais pas avant une petite plongée sur le «Président Coolidge», paquebot américain transformé en transport de troupes et coulé pendant la seconde guerre mondiale sur deux mines (américaines, décidemment ils n’ont vraiment pas de chance…). On est au cœur du théâtre d’opérations de la guerre du Pacifique, plusieurs îles ont été occupées par les japonais et montrent encore d’anciennes barges, des canons, des épaves d’avions abattus etc.….

Neuf jours plus tard, nous arrivons à Rabaul, le port choisi pour nos formalités d’entrée en Papouasie. Là, un spectacle dantesque nous attend : le port est situé dans une ancienne caldeira et, au bord, un volcan en activité crache une épaisse fumée jusqu’à 1500 mètres d’altitude. Nous nous arrêtons à ce qui fait office de yacht club où, à part un catamaran aux moteurs endommagés, Ratafia est le seul bateau présent. On comprend vite pourquoi : depuis la grosse éruption de 1994 où la ville a été quasi totalement détruite (ça on le savait), le volcan n’a pas arrêté de cracher ses cendres, laissant partout une épaisse couche de poussière (ça on ne le savait pas). Le lendemain matin, le pont de Ratafia est couvert de 3 mm de cendres, ainsi que nos oreillers car, vu la chaleur, on a évidemment laissé les hublots de nos cabines ouverts. Si la ville, sous ses cendres a un coté pathétique, la vue sur le volcan est unique et même assez inquiétante– voir photos.

Rod, un navigateur australien au grand cœur, qui vit là depuis toujours, nous propose fort à propos de déménager le bateau jusqu’à la ville d’à coté, Kokopo, où il met gracieusement à notre disposition un coffre pour nous amarrer. Lors d’un repas sur son bateau, il nous donne aussi tous les conseils de mouillages pour les étapes à venir : la Papouasie Nouvelle Guinée n’est pas vraiment une destination touristique en matière de yachting et il n’existe donc pas de guides nautiques précis. Rod nous fait aussi un petit briefing « sécurité » pour conclure qu’il est armé jusqu’aux dents « avec du matériel lourd » nous précise t-il, et qu’il ne sort jamais en ville sans son pistolet, mais que pour nous « tout cela n’est pas nécessaire » - merci de nous rassurer Rod. De fait, nous n’avons pas eu jusqu’à présent l’ombre d’un problème, dès qu’on arrive devant un village, le bateau est de facto sous la protection du chef du village qu’on ne manque jamais de saluer.

Et nous voilà donc, accompagnés par Denis qui nous a rejoints pour 15 jours, repartis pour une tournée des mouillages et des villages, ces derniers étant parfois encore plus pauvres qu’au Vanuatu et l’accueil n’y étant que plus chaleureux. Ici, les maisons sont encore plus spartiates : souvent juste 4 cloisons et un toit en bambou et en feuilles de cocotiers ; nous voyons des enfants pas toujours bien nourris, avec des maladies de la peau, mais toujours aussi souriants et toujours aussi nombreux. On nous explique très sérieusement que, lorsqu’on souffre d’un mal, pour le faire « sortir » on s’applique des bouts de bois incandescents sur la zone concernée. Et de fait, on se demandait au départ à quoi correspondaient ce qui ressemblait à des brûlures de cigarettes qu’on voyait nombreuses sur le corps de certains individus.

Si il n’est pas bon d’être né chat en Polynésie, il n’est pas bon d’être né chien dans certains villages papous : à la faveur de la nuit, les crocodiles de mer ont tendance à se glisser entre les habitations et à améliorer leur quotidien en croquant de temps en temps un brave toutou. Mais on nous précise qu’ils n’attaquent que les chiens - nous voilà une fois de plus rassurés.

Nous fûmes aussi invités à un mariage, ce fut épique, surtout le moment de l’achat de la mariée, qui me rappelait la foire agricole de Libramont ; discussions entre hommes exclusivement évidemment.

Pour conclure, un petit mot sur le planning : Comme vous l’aurez constaté, nous avons décidé de ne pas passer par l’Australie et l’Indonésie (via détroit de Torres). Cette décision est liée d’abord à des impératifs météo : nous avons décidé de mettre cap au nord vers la Papouasie Nouvelle Guinée, ensuite Palau, le sud des Philippines (où nous ne ferons que passer) et après redescendre vers Bornéo (Sabah et Sarawak) et Singapore. Le but est de toucher le plus rapidement possible les alizés de nord est, normalement à partir de 5° de latitude nord. Par le détroit Torres, nous risquions de nous faire prendre dans des calmes, voir des vents contraires pour atteindre Bali et ensuite Singapore. L’autre raison de ce choix est purement d’intérêt touristique : la Papouasie et Bornéo nous semblaient plus intéressants - surtout en profitant de l’opportunité d’avoir un bateau- que l’Australie et l’Indonésie, où de surcroît les formalités sont extrêmement compliquées.

Si tout va bien, nous serons à Bornéo fin novembre, en Thaïlande fin décembre et janvier, au Sri Lanka en février. Le nouveau planning - purement indicatif évidemment- devrait être paru sur le site à l’heure où je finis ces lignes.