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Pacifique sud – 30 octobre
2009
Cela
fait longtemps que je n’ai plus écrit, donc autant
vous prévenir, le texte est assez long (un peu plus de 7
pages A4). Si vous êtes au travail, servez vous un café
et assurez vous que votre patron est suffisamment loin. Si vous
êtes chez vous, imprimez ces pages, faites vous couler un
bain, mettez y les poissons en plastique que vous aviez offerts
il y a bien longtemps à vos enfants et approchez de la baignoire
la grande plante tropicale du salon, qui pour une fois aura une
utilité … cela vous mettra dans l’ambiance.
La fameuse ambiance « Pacifique
sud »…. Le rêve de tous les navigateurs paraît-il.
Cet endroit du globe qui, pour beaucoup, doit être le «
clou » du spectacle de leur tour du monde.
Autant
le dire tout de suite, c’est vrai que le Pacifique sud –du
moins ce qu’on en a vu- n’a pas volé sa réputation.
Il est impressionnant par ce côté à la fois
paradisiaque et immense. Ici, on trouve vraiment des îles
désertes avec des cocotiers, des lagons de toutes les tonalités
de bleu, des coraux à profusion pleins de poissons multicolores…..
comme dans les clichés qu’on s’en fait. Ici,
on se dit que la planète mettra encore du temps à
mourir, tellement tout semble si préservé et si loin
de tout - même si je sais que ce n’est malheureusement
qu’une fausse impression.
La traversée de cet océan
sur 9000 miles (17000 km) de Puerto Montt (Côte du Chili)
à la Papouasie Nouvelle Guinée, m’a beaucoup
plu par son côté « Robinson Crusoë »
ou « snorkeling et cocotiers », mais aussi, dans sa
dernière partie, par la découverte de peuples et de
cultures complètement retirées du monde, du moins
celui que nous connaissons.
En
termes de voile, mis à part la longue durée des traversées
à cause des grandes distances, cela ne m’a pas semblé
représenter de défi particulier. En effet, nous n’avons
eu aucune difficulté majeure, les pires choses qui nous soient
arrivées étant de déchirer le génois
dans un grain aussi bref que violent ainsi que de devoir faire une
semaine de près, le bateau transformé en shaker dans
une mauvaise mer, pour atteindre les Marquises. Bon, c’est
vrai que j’aborde ce dernier point avec légèreté
aujourd’hui, mais en réalité Cyril et moi en
avions vraiment ras le bol à l’arrivée, complètement
exténués que nous étions à vivre sur
ce bateau gité et tanguant en permanence 7 jours et 7 nuits
d’affilée.
Pour la navigation, et son côté isolé et grandiose
sans pareil, la Patagonie fut une expérience unique, pour
le côté «choc des civilisations», le Vanuatu
ou la Papouasie Nouvelle Guinée resteront à jamais
gravés dans ma mémoire.
Avant de m’étendre sur ce qui m’a marqué
dans cette partie de voyage, une brève description chronologique
de notre itinéraire depuis ma dernière lettre s'impose.
Nous sommes restés quinze
jours à Puerto Montt (Chili), le temps de faire les réparations
nécessaires au moteur qui avait beaucoup souffert du fuel
de mauvaise qualité chargé à Ushuaia (injecteurs
endommagés), de changer de système de presse étoupe,
et de procéder à un gros avitaillement.
- Départ le 7 avril pour une navigation de 2400 miles (4500
km), soit 17 jours de mer jusqu’à l’île
de Pâques. Bref arrêt de 4 jours.
- Le 29 avril nous repartons pour une navigation 2200 miles (4000
km), soit 14 jours de mer, jusqu’aux Marquises. Nous sommes
restés 2 mois dans les archipels de Polynésie française
: 3 semaines aux Marquises, 3 semaines aux Tuamotu, 2 semaines à
Raiatea (îles sous le vent) pour sortir le bateau de l’eau
et faire l’entretien de la coque.
- Bref arrêt à Bora Bora et surtout à Maupelia,
dernier petit atoll de Polynésie française perdu 200
km à l’ouest des îles sous le vent ; 6 habitants
et deux ravitaillements par an- cela contraste avec Bora.
- Le 15 juillet, départ pour les Tonga, traversée
très rapide : 7 jours et demi pour faire 1200 miles (2000
km) ; nous restons deux semaines aux Tonga
- Le 8 août, veille d’un anniversaire important, nous
arrivons aux îles Fidji après 4 jours de mer. Au bout
d’une semaine sur place, décision est prise de faire
repeindre complètement la coque du bateau. En effet, nous
avions constaté à Raiatea son état lamentable
et, vu le faible coût des travaux qu’on nous propose,
Ratafia ressort de l’eau pour la deuxième fois en deux
mois. Nous restons 3 semaines aux Fidji.
- Au moment de remonter le gouvernail, un ouvrier endommage le pilote
automatique. Heureusement, c’est réparable et c’est
avec deux jours de retard sur le planning que nous partons, le 28
août pour le Vanuatu (ex Nouvelles Hébrides) où
nous arrivons le 1er septembre.
- Après avoir passé 3 semaines au Vanuatu où
Sophie m’a rejoint, nous sommes à présent depuis
deux semaines en Papouasie Nouvelle Guinée.
Bref, on peut dire qu’on
bouffe du mile et on s’accorde à penser que ce tour
du monde est un peu trop rapide
mais on ne peut pas tout avoir.
On aurait en effet souhaité
pouvoir passer plus de temps dans certains endroits, ou s’arrêter
dans plus de mouillages, mais ici, les distances sont telles et
les îles si nombreuses, que la vie d’un homme ne suffirait
pas à faire le tour de tout ce qu’il y a à voir.
J’ai eu l’occasion de voir déjà tellement
de choses que parfois je me demande si j’étais dans
la réalité, si je réalisais pleinement. Je
me demande comment je repenserai à cela à posteriori,
dans quelques années.
Par
certains aspects, les îles que nous avons rencontrées
lors de cette traversée du Pacifique présentent un
certains nombre de similitudes, mais aussi de gros contrastes :
par la route que nous avons prise, le climat est à peu près
le même partout – le ciel est souvent nuageux, les températures
élevées et, d’un point de vue météo
pour la navigation, on ne craint que les orages qui peuvent être
très violents. Pour moi, une plage avec des cocotiers reste
une plage avec de cocotiers, seule l’agressivité des
moustiques change de l’une à l’autre.
Ce
qui apporte une diversité certaine dans la beauté
des îles, toutes volcaniques, c’est qu’elles sont
à différents stades d’évolution : atolls
plats aux Tuamotu formés seulement d’une barrière
de corail avec des cocotiers et entourant un lagon, îles montagneuses
au Vanuatu ou aux Marquises avec une végétation luxuriante,
combinaison des deux dans les îles sous le vent ou ici en
Papouasie.
Le rythme de vie est à peu
près le même partout : tout sauf stressant, ce n’est
pas une image, c’est la réalité. Encore que
là il y ait des nuances : dans les îles les plus pauvres
(Vanuatu, Papouasie, ..) on se contente de cultiver son morceau
de terrain, d’élever quelques poules et quelques cochons
et d’aller occasionnellement à la pêche, le tout,
uniquement pour ses besoins personnels et ceux du village. Il n’y
a pour ainsi dire aucun commerce à part un peu de Coprah
(exploitation des noix de coco pour en faire de l’huile) et
de sylviculture, entreprises qui sont toutes aux mains des australiens
qui règnent en maîtres incontestés dans la région.
Dans les îles les plus riches
(entendez la Polynésie française), on affiche une
nonchalance marquée, en attendant, à l’ombre
de son 4X4 neuf, les subsides massifs de l’état français.
Ici tout est neuf : les bâtiments publics, les routes etc.
Le salaire des fonctionnaires est plus du double de ceux de la métropole,
sans compter le logement de fonction dans beaucoup de cas. La culpabilité
liée aux essais nucléaires a clairement coûté
très cher au contribuable français. J’ai perçu
les polynésiens en moyenne beaucoup moins souriants et beaucoup
plus blasés que les habitants des îles plus à
l’ouest, qui semblaient beaucoup plus heureux, alors que dans
ce dernier cas certains villages ne possédaient strictement
rien.
Enfin,
autant casser un mythe: les filles sont invariablement moches du
Pacifique est au Pacifique ouest : En Polynésie, l’image
de la Vahiné est une arnaque complète pour attirer
les touristes, en réalité elles deviennent énormes
dès 18 ans ; quant à celles que nous avons actuellement
devant nous en Papouasie, leur bouche et leurs dents rouges sang,
résultat du « betelnut chewing» (noix d'arec)
auquel tout le monde s’adonne ici , feraient fuir le plus
grand adepte des films de Dracula.
Dans l'ordre chronologique
Pour
reprendre les choses au début, notre premier arrêt
fut l’île de Pâques et ce qui m’a marqué,
outre le fait que c’était avec grand soulagement et
bonheur que nous l’avons vue apparaître à l’horizon
après plus de 4500 km de traversée, c’est l’impression
« extraterrestre » que j’ai ressentie en me promenant
au milieu de toutes ces statues (les mohaï). Cette impression
est sans doute encore renforcée par le côté
volcanique de l’île et ses cratères impressionnants
ainsi que par son caractère d’île habitée
la plus isolée du monde en terme de distance au prochain
lieu peuplé d’êtres humains. A travers ces statues
– certaines sont énormes, d’autres non achevées
ou encore couchées car laissées là en plein
«transport» vers l’autel auquel elles étaient
destinées, d’autres enfin sont brisées –
on revit aussi le drame du passé lors duquel les différents
clans se sont allègrement entretués pour ne laisser
que quelques centaines d’habitants survivants après
avoir été plusieurs milliers. La réputation
de l’île en tant que « mouillage peu abrité
et dangereux » n’est pas usurpée : on a du changer
daredare Ratafia de place pour aller s’abriter de l’autre
côté de l’île, le vent ayant tourné
brusquement. La liste des yachts coulés ou éventrés
sur la côte est longue.
Aux
Marquises, les photos parlent d’elles mêmes : les îles
ont un côté grandiose que l’on ne rencontre nulle
part ailleurs avec des escarpements et des pics rendant la topographie
presque agressive, inquiétante parfois. C’est aux Marquises
qu’on a revu plus de bateaux ; en effet c’est là
que se fait la jonction avec tous les bateaux qui passent par le
canal de Panama pour s’engager dans le Pacifique sud. Si j’y
ai trouvé des paysages à couper le souffle avec une
végétation incroyable, que j’y ai nagé
avec des raies Manta et des dauphins, j’ai aussi eu le malheur
de pêcher au harpon une splendide carangue de 3 kilos, que
les locaux nous ont affirmé être totalement comestible.
Nous l’avons dégustée sur la plage au barbecue
en compagnie d’un couple d’américains innocents
qu’on avait invités pour l’occasion. La suite
vous la connaissez déjà par les brèves que
Cyril a fait parvenir au site: la ciguatera a frappé fort
et nous sommes sans doute recherchés par la marine des Etats
unis. Ceci d’autant plus probablement que, outre les deux
victimes innocentes qui ont du être bien malades, une troisième
est certainement tombée au champ d’honneur de la bannière
étoilée : le petit chat d’un couple de retraités
d’un autre bateau américain. Monsieur s’était
en effet proposé de nous montrer comment découper
les filets du poisson et en a prélevé un morceau pour
son matou. Désolé pour les âmes sensibles, mais
l’animal, fidèle compagnon depuis des années
de ce couple esseulé sur son yacht, confident aux heures
de crise les plus sombres de leur mariage, n’a certainement
pas survécu. Les livres et articles que nous avons consultés
à postériori sont formels, le chat, même américain,
est très sensible à la ciguatera qui lui est fatale,
au point que les locaux l’utilisent comme « goûteur
» en cas de doute.
Il ne fait pas bon être chat en Polynésie.
Aux
Tuamotu, changement de décor, bienvenue dans le royaume des
atolls plats. Ici, on ne parle plus de végétation
luxuriante ou de fruits et de légumes énormes et à
profusion comme aux Marquises, mais de lagons aux eaux cristallines
bordés quasi exclusivement de cocotiers sur des bandes de
terre (ou de sable de corail devrais-je dire) ne dépassant
pas quelques mètres de haut et rarement plus de quelques
dizaines de mètres de large. Cela a tout l’air du paradis,
tellement cela ressemble aux cartes postales, mais pour ceux qui
y habitent, cela peut vite devenir l’enfer : peu de choses
poussent, pas d’eau à part ce que la pluie veut bien
apporter, et c’est une région du monde totalement isolée,
seuls les quelques atolls principaux étant affublés
d’une piste d’atterrissage. Il y a des récifs
partout rendant notre navigation périlleuse à cause
des « patates de corail » omniprésentes et des
violents courants dans les passes d’entrée des lagons.
Une seule technique dès qu’on rentre dans les atolls:
naviguer avec le soleil assez haut dans le ciel et quelqu’un
en permanence à l’avant du bateau.
Outre leur attrait par ce côté « Robinson Crusoë
», c’est aux Tuamotu que j’ai été
le plus impressionné par la faune sous marine : une densité
et une diversité de poissons multicolores comme nulle part
ailleurs, des tortues, des murènes, des dizaines de requins
…. Bref, des heures passées dans l’eau à
faire du snorkeling. Le corail n’est pas exceptionnel par
contre, nous en avons vu de beaucoup plus beaux au Vanuatu ou en
Papouasie Nouvelle Guinée.
Un
mot sur les requins qui sont omniprésents: tant qu’on
n’essaye pas de les caresser ou qu’on ne traîne
pas à côté de soi du poisson chassé au
harpon, les requins de récif ne sont pas dangereux. Au début,
cela fait bizarre de nager aussi près d’eux, mais la
plupart du temps ils ne font même pas attention à vous,
et on finit vite par s’habituer, la curiosité et l’excitation
de voir un si beau spectacle gagnant largement sur l’appréhension.
Les plus impressionnants étaient probablement les requins
gris dont les plus gros devaient atteindre la taille d’un
homme. En fait j’ai vraiment réalisé que tant
qu’il fait jour, que l’eau est claire et que je vois
ce qui se passe autour de moi (le fond, les poissons..), je suis
totalement rassuré. Là où les phantasmes de
type « dents de la mer » commencent, c’est lorsque
je ne vois pas le fond, qu’on est en fin d’après
midi et que la visibilité tombe. Ou qu’une andouille
de moniteur de plongée vous dit qu’il a vu deux requins
tigres - dont un de 5 mètres- dans le lagon de Fakarava il
y a une semaine, l’endroit même où vous nagez
tous les jours. C’est vrai qu’à plusieurs occasions,
en fin d’après midi, en nageant les 100 ou 200 mètres
qui séparaient le récif de corail du bateau à
l’ancre, je ne pouvais m’empêcher de cogiter et
inconsciemment de palmer plus vite. Plus loin, aux Fidji, au Vanuatu
ou en Papouasie, il y a des endroits franchement déconseillés
pour se baigner, quelques touristes ayant constaté les années
précédentes à leur frais la logique de fonctionnement
de la chaîne alimentaire en milieu marin.
Nous avons ensuite fait une pause
technique de 15 jours à Raiatea (îles sous le vent)
pour caréner le bateau et accessoirement rencontrer un couple
de belges haut en couleur – Ghislaine et Benoît qui
naviguent autour du monde depuis 17 ans et que nous reverrons normalement
en Thaïlande.
Nous n’avons pu quitter la Polynésie sans pouvoir nous
empêcher de faire deux petites haltes – non prévues
: l’une de 2 jours à Bora-Bora, haut lieu des hôtels
4 étoiles sur pilotis dans un lagon vendu comme « le
plus beau du monde » (c’est vrai qu’il est pas
mal, mais c’est trop touristique à mon goût),
et l’autre de 3 jours à Maupelia, dernier atoll à
l’ouest et loin de tout avec seulement deux ravitaillements
par an. Là, après être rentrés par une
passe étroite avec énormément de courant, nous
avons sympathisé avec la seule famille qui y vivait. Pendant
ces 3 jours, au programme : dégustation de langoustes et
de crabes de cocotier, visite des îlots des environs, chasse
au harpon dans la passe et chasse au cochon, ces derniers ne mettant
pas beaucoup de bonne volonté pour se laisser embarquer sur
le prochain bateau pour être vendus- on a bien rigolé.
Dans cette famille, il y avait un jeune couple et la femme venait
d’avoir eu son troisième enfant. Dès qu’il
serait sevré, il irait rejoindre à Bora-Bora , à
200 km, sa grand-mère et ses deux aînés. La
mère reste sur l’atoll avec son mari, exploitant le
coprah – drôle de vie. Moment émouvant en tous
cas, que d’avoir partagé avec cette petite famille,
coupée du monde, ces quelques jours et d’avoir pu bénéficier
de leur générosité totalement désintéressée.
Des 12 jours passés aux Tonga, je retiendrai surtout l’ambiance
au yacht club le soir (le premier qu’on a vu depuis longtemps),
en particulier le vendredi, jour de la régate à laquelle
nous avons évidemment participé (et terminé
5 èmes). C’est là que nous avons rencontré
Jimmy, un vieux skipper américain qui voyage depuis des années
dans le Pacifique. Avec son petit bateau sorti d’un musée,
son langage de charretier, les joints qu’il fumait, la quantité
d’alcool qu’il ingurgitait et son éternelle bonne
humeur, Cyril et moi ne pouvions pas ne pas le trouver sympathique
ainsi que les deux italiens, Sofia et Vitto, qu’il avait embarqués
en Nouvelle Zélande. Ils ont mis 24 jours pour la traversée
vers les Tonga, là où la plupart des bateaux en mettent
10 ; Vitto n’était plus nourri qu’avec de l’eau
sucrée tellement il était malade, et ils sont montés
sur un récif, sans dégâts pour le bateau, fort
heureusement. Ils sont arrivés entiers et pour une première
expérience de voile, cela n’a pas découragé
Vitto qui embarquait quelques semaines plus tard avec nous pour
les Fidji.
Aux
Fidji, nous avons passé quelques jours dans la région
de Savu Savu, au nord est et ensuite sommes allés à
Port Denaru, marina moderne totalement artificielle et aseptisée,
pour faire repeindre complètement la coque de Ratafia. Initialement,
nous voulions attendre le mois de janvier en Thaïlande pour
faire les travaux mais eu égard au comparatif de prix, il
nous a semblé beaucoup plus intéressant de le faire
aux Fidji. Nous avons donc passé 15 jours dans cette marina
à suivre les travaux, entre le Ed’s bar et le Cardoz,
des bars restos où nous étions connus comme des vieux
sous à l’issue de ces deux semaines. Là, nous
nous sommes fait inviter à dîner par des Chinois, car
nous avons fait connaissance d’un petit groupe d’expatriés,
qui géraient 200 ouvriers, également tous chinois,
pour la construction d’un hôtel. La chef de salle au
restaurant a frôlé la crise d’apoplexie lorsque
elle constata qu’ils mangeaient leurs fruits de mer à
même la table et non dans leur assiette, pour terminer en
écrasant leurs mégots de cigarettes dans le petit
tas de coquilles diverses qu’ils avaient accumulées
sur la nappe. Le formatage politique n’est pas un vain mot-
j’imagine qu’ils sont triés sur le volet avant
de partir à l’étranger- nous avons eu l’occasion
de constater que tous les sujets sensibles étaient d’office
soigneusement évités. Mais nous avons passé
une excellente soirée sur le compte du parti communiste chinois.
La traversée vers le Vanuatu
fut rapide et sans surprise. A l’arrivée, le service
sanitaire, particulièrement sévère, nous a
obligés de jeter toute la viande qui nous restait (près
de 2 kg) ainsi que les œufs, les fruits et légumes et
même les boîtes de crème fraîche et le
beurre. Je ne sais pas ce qui se serait passé s’ils
avaient soulevé les planchers du bateau et étaient
tombés sur les boîtes de pâté, de poisson
et les conserves de beurre qu’on a en quantité industrielle.
Nous avions soigneusement planqué le vin en sous 300 kilos
de voiles, en fait cela ne les intéressait pas du tout.
Au
Vanuatu, un nouveau monde s’ouvrait à nous : celui
des villages très retirés du monde, de l’ancrage
encore très présent de leur culture traditionnelle
: le chef du village à qui il faut se présenter absolument
et l’accueil parfois très formel, le « Nakamal
», type de place centrale située généralement
sous un énorme banian et où ont lieu les réunions
tribales, les décisions de « justice », les fêtes
traditionnelles ainsi que la dégustation du Kava, une espèce
de drogue douce, décoction à base de racines, que
Cyril a rapidement adopté- moi, j’ai essayé,
mais je trouvais cela infâme.
Si le cannibalisme était
déjà présent dans l’histoire d’autres
îles qu’on a rencontrées sur notre route, ici
cette réalité devenait très évidente.
Les autochtones en parlent assez facilement, expliquant entre autre
que leur grand père le pratiquait encore et les sites sacrificiels
ne manquent pas. Le dernier cas connu en Papouasie Nouvelle Guinée
date de 1969 et quand on pose la question si cela a totalement disparu
– il y a encore aujourd’hui des guerres tribales entre
villages reculés- on nous répond en souriant : qui
sait ce qui se passe vraiment ? Mais bon, même dans les villages
perdus au milieu de la jungle, entouré d’une multitude
de villageois la machette à la main et au visage à
la morphologie peu rassurante – ils ont parfois des têtes
très impressionnantes- je ne me suis jamais imaginé
terminer au fond de la marmite ou au barbecue. Ce qui nous a chaque
fois frappés, c’est leur extrême gentillesse.
Au
Vanuatu, Sophie et moi avons pris un avion pour passer une semaine
sur l’île de Tana dans le sud de l’archipel. C’est
là que nous avons fait connaissance avec nos premiers villages
« typiques» et aussi la dure réalité de
la condition de la femme : c’est une constante que l’on
retrouve également en Papouasie, il se dit qu’elles
valent moins qu’un cochon. En tout cas, en Papouasie, on nous
a expliqué que dans les endroits reculés, tuer la
femme d’un autre coûte 5000 Kina (soit + /- 1500€).
Si vous payez cette somme au mari pour le dédommager, l’histoire
s’arrête là car il sera satisfait de la transaction.
Même si nous n’y avons jamais été directement
confrontés et avons toujours fait l’objet de la gentillesse
et de l’attention de tout le monde, ce qui est appelé
ici la « violence domestique » est un réel problème
: des femmes enceintes meurent régulièrement car battues,
et de temps en temps un coup de machette se perd- en tous cas à
en croire un médecin allemand qui travaillait en coopération
ou la Consule italienne en Papouasie que nous avons croisés.
Moins dramatique : quand nous étions invités à
manger, seuls les hommes mangent avec nous. Ou, lorsque ils prennent
du kava, il est interdit aux femmes de les regarder – scène
cocasse que nous avons vécue : Sophie et moi marchions sur
un sentier à Tana et, étant tombés par hasard
en bordure de village sur un site où un groupe d’hommes
consommait du kava, il fut demandé à Sophie de regarder
le bout de ses souliers le temps qu’on passe à leur
hauteur.
A
Tana, nous avons eu la chance de visiter le Mont Yasur, un volcan
en activité et –dit on- un des cratères au monde
les plus accessibles. Effectivement, on va vraiment tout au bord
du cratère ; le sol sous les pieds tremble lorsque les explosions
envoient à cent mètres de haut des geysers de lave
incandescents. La balade sur le volcan commence un peu avant le
coucher du soleil et, de nuit, le spectacle est vraiment de toute
beauté et très impressionnant.
De retour de Tana, nous avons
rejoint Cyril qui était resté avec le bateau à
Port Vila, et sommes partis en navigation vers le nord en s’arrêtant
dans beaucoup de très beaux mouillages, entre autre au sud
et sur la côte est de Malekula. C’est lors de cette
navigation que nous avons eu la chance de voir un dugong (= type
de Lamentin qui habite ces régions) qui nous a laissés
nager à côté de lui pendant qu’il aspirait
placidement les herbes du fond la baie.
Après
un bref arrêt à Luganville pour faire nos formalités
de sortie du Vanuatu nous voilà partis pour la Papouasie
Nouvelle Guinée. Mais pas avant une petite plongée
sur le «Président
Coolidge», paquebot américain transformé
en transport de troupes et coulé pendant la seconde guerre
mondiale sur deux mines (américaines, décidemment
ils n’ont vraiment pas de chance…). On est au cœur
du théâtre d’opérations de la guerre du
Pacifique, plusieurs îles ont été occupées
par les japonais et montrent encore d’anciennes barges, des
canons, des épaves d’avions abattus etc.….
Neuf
jours plus tard, nous arrivons à Rabaul, le port choisi pour
nos formalités d’entrée en Papouasie. Là,
un spectacle dantesque nous attend : le port est situé dans
une ancienne caldeira et, au bord, un volcan en activité
crache une épaisse fumée jusqu’à 1500
mètres d’altitude. Nous nous arrêtons à
ce qui fait office de yacht club où, à part un catamaran
aux moteurs endommagés, Ratafia est le seul bateau présent.
On comprend vite pourquoi : depuis la grosse éruption de
1994 où la ville a été quasi totalement détruite
(ça on le savait), le volcan n’a pas arrêté
de cracher ses cendres, laissant partout une épaisse couche
de poussière (ça on ne le savait pas). Le lendemain
matin, le pont de Ratafia est couvert de 3 mm de cendres, ainsi
que nos oreillers car, vu la chaleur, on a évidemment laissé
les hublots de nos cabines ouverts. Si la ville, sous ses cendres
a un coté pathétique, la vue sur le volcan est unique
et même assez inquiétante–
voir photos.
Rod,
un navigateur australien au grand cœur, qui vit là depuis
toujours, nous propose fort à propos de déménager
le bateau jusqu’à la ville d’à coté,
Kokopo, où il met gracieusement à notre disposition
un coffre pour nous amarrer. Lors d’un repas sur son bateau,
il nous donne aussi tous les conseils de mouillages pour les étapes
à venir : la Papouasie Nouvelle Guinée n’est
pas vraiment une destination touristique en matière de yachting
et il n’existe donc pas de guides nautiques précis.
Rod nous fait aussi un petit briefing « sécurité
» pour conclure qu’il est armé jusqu’aux
dents « avec du matériel lourd » nous précise
t-il, et qu’il ne sort jamais en ville sans son pistolet,
mais que pour nous « tout cela n’est pas nécessaire
» - merci de nous rassurer Rod. De fait, nous n’avons
pas eu jusqu’à présent l’ombre d’un
problème, dès qu’on arrive devant un village,
le bateau est de facto sous la protection du chef du village qu’on
ne manque jamais de saluer.
Et
nous voilà donc, accompagnés par Denis qui nous a
rejoints pour 15 jours, repartis pour une tournée des mouillages
et des villages, ces derniers étant parfois encore plus pauvres
qu’au Vanuatu et l’accueil n’y étant que
plus chaleureux. Ici, les maisons sont encore plus spartiates :
souvent juste 4 cloisons et un toit en bambou et en feuilles de
cocotiers ; nous voyons des enfants pas toujours bien nourris, avec
des maladies de la peau, mais toujours aussi souriants et toujours
aussi nombreux. On nous explique très sérieusement
que, lorsqu’on souffre d’un mal, pour le faire «
sortir » on s’applique des bouts de bois incandescents
sur la zone concernée. Et de fait, on se demandait au départ
à quoi correspondaient ce qui ressemblait à des brûlures
de cigarettes qu’on voyait nombreuses sur le corps de certains
individus.
Si il n’est pas bon d’être
né chat en Polynésie, il n’est pas bon d’être
né chien dans certains villages papous : à la faveur
de la nuit, les crocodiles de mer ont tendance à se glisser
entre les habitations et à améliorer leur quotidien
en croquant de temps en temps un brave toutou. Mais on nous précise
qu’ils n’attaquent que les chiens - nous voilà
une fois de plus rassurés.
Nous fûmes aussi invités
à un mariage, ce fut épique, surtout le moment de
l’achat de la mariée, qui me rappelait la foire agricole
de Libramont ; discussions entre hommes exclusivement évidemment.
Pour conclure, un petit mot sur
le
planning : Comme vous l’aurez constaté, nous avons
décidé de ne pas passer par l’Australie et l’Indonésie
(via détroit de Torres). Cette décision est liée
d’abord à des impératifs météo
: nous avons décidé de mettre cap au nord vers la
Papouasie Nouvelle Guinée, ensuite Palau, le sud des Philippines
(où nous ne ferons que passer) et après redescendre
vers Bornéo (Sabah et Sarawak) et Singapore. Le but est de
toucher le plus rapidement possible les alizés de nord est,
normalement à partir de 5° de latitude nord. Par le détroit
Torres, nous risquions de nous faire prendre dans des calmes, voir
des vents contraires pour atteindre Bali et ensuite Singapore. L’autre
raison de ce choix est purement d’intérêt touristique
: la Papouasie et Bornéo nous semblaient plus intéressants
- surtout en profitant de l’opportunité d’avoir
un bateau- que l’Australie et l’Indonésie, où
de surcroît les formalités sont extrêmement compliquées.
Si tout va bien, nous serons à
Bornéo fin novembre, en Thaïlande fin décembre
et janvier, au Sri Lanka en février. Le nouveau planning
- purement indicatif évidemment- devrait être paru
sur le site à l’heure où je finis ces lignes.
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