Claire ANDRE-FABER
Claire
est la maman d'Hugues. Elle est partie les rejoindre aux
Canaries pendant ses vacances. Naturellement, elle nous
a fait part de ses impressions pendant cette semaine passée
à bord de RATAFIA en nous envoyant une très
longue lettre empreinte d'émotion. Ça ne doit
pas être facile de voir son enfant (de quasi 40 ans,
mais c'est son enfant) partir ausssi loin, aussi longtemps,
pour un aussi long voyage.
Vous trouverez ci dessous
la lettre de Claire écrite dès son retour
à Bruxelles
.
De retour des Canaries
Le 14 août dernier, je prenais l’avion
pour les Canaries, très exactement pour San Cristianos
sur la côte sud de Tenerife. C’est là,
en principe, que le 18 de ce même mois, je devais
avoir la chance de retrouver nos deux navigateurs. Mais
contrairement à ce qui était prévu,
Ratafia ne pouvait pas accoster là et nos deux compères
ont décidé de faire escale dans… le
Nord, à Santa Cruz, capitale de l’île
qui possède un port important. Ils s’y sont
amarrés le 17 après-midi. Après 100
heures de navigation en continu, nos marins avaient besoin
d’un peu de repos et Ratafia de quelques mises au
point (cfr. lettres de Hugues et Cyril). Le repos s’annonçait
donc bien relatif !
J’ai pris le lundi 18 au matin la
« gua gua » pour les rejoindre « Marina
de l’Atlantico ». Ici, dans l’archipel,
aucun autochtone ne comprend le mot autobus qui est efficacement
remplacé par un double aboiement « wa wa »
(pour gua gua) qui vous permet de circuler confortablement
à peu près partout où vous le désirez.
Cependant, avis aux amateurs : méfiez-vous du dimanche.
L’animal se fait alors vraiment rare et … à
vous de faire le pied de grue !
Traverser l’île de part en part, en l’occurrence
ici, de sa pointe la plus méridionale à sa
pointe la plus septentrionale ne m’entraînait
pas dans une grande aventure. Cette distance, maximale pour
Tenerife, ne doit pas excéder de beaucoup une centaine
de kilomètres.
Après des retrouvailles et un accueil
bien sympathiques, je me suis installée dans ma suite
royale tandis que les deux loustics prenaient soin du bateau.
De mon côté, je commençais à
l’apprivoiser.
Le soir, nous sommes partis à la recherche d’un
bar à tapas, des vrais ! On a trouvé…
le bar. Pour les tapas, c’était raté
mais pour les retrouvailles, c’était bon, même
très bon.
Le lendemain mardi, Cyril et Hugues devaient
encore acheter du matériel au ship et notamment,
d’après ce que j’ai pu entendre, dépenser
une fortune en matériel de pêche. Heureusement,
sur les conseils du vendeur, ils ont suivi un cours intensif
et …accéléré auprès d’un
vieux loup de mer qui leur a un peu expliqué comment
utiliser tout ce brol*.
Cela leur évitera, je l’espère, de devoir
un jour tirer à la courte paille pour savoir qui,
qui serait mangé.
En ce qui me concerne, plutôt que
d’attendre une pêche miraculeuse, je suis partie
faire quelques courses pour le repas du soir. Ensuite, le
devoir domestique accompli, j’ai entrepris la découverte
de Santa Cruz. Quel plaisir de se trouver enfin dans une
ville qui vit au rythme de ses habitants, qui conserve encore
en certains endroits les traces de son histoire, où
l’ombre bienfaisante des arbres vous assure qu’ils
n’ont pas été plantés la veille
(une pensée amicale à Guillaume). Salutaire
consolation après la rencontre d’une côte
presque partout sacrifiée à la vente de soleil
en boîte pour touristes en quête d’un
bronzage sur mesure.
Mon plaisir ne fut pas de courte durée,
car le jour suivant, mercredi, nous avons loué une
voiture pour explorer un peu l’intérieur des
terres. Et ce fut une bien belle journée. Le matin
nous avons marché dans les "Gorges de l’enfer
". Pour moi, entourée de deux explorateurs aguerris,
c’était le paradis. Il paraît qu’à
Madagascar où, chacun le sait, ils firent leur entraînement
c’était « plus pire ».
L’après-midi, nous avons
contourné une bonne partie du Teide en voiture, nous
arrêtant parfois pour prendre la mesure de la beauté
des paysages. J’ai été particulièrement
impressionnée par des paysages dits lunaires que
je découvrais pour la première fois. Notez
que le volcan du Teide, avec une altitude dépassant
les 3700 mètres, est la plus haute montagne d’Espagne.
Ouf ! L’intérieur de l’île semble
protégé : tant les Gorges de l’enfer
que le Teide et ses alentours sont des parcs nationaux.
J’espère que les photos vous rendront un peu
de cette splendeur !
Jeudi matin, nous quittons Santa Cruz
pour la Calletta, petit port au sud de Tenerife, étape
avant la traversée vers la Gomera. La mer connaît
de sérieux creux, le vent est fort et après
deux heures de navigation, je deviens malade comme un chien
et pas comme un loup de mer.
Le lendemain vendredi, nous lâchons
les amarres pour la Gomera où l’équipage
rêve de mouiller dans un endroit réputé
sûr et agréable. Mais voilà, il n’en
sera pas question. Dès la sortie du port nous sommes
terriblement secoués, le vent monte jusqu’à
7Beaufort avec parfois des claques à 8. Si la toile
se battait avec 7 Beaufort, à bord il y avait une
petite mauviette qui remettait en scène le scénario
de la veille. Désormais, je sais ce que « rendre
l’âme » peut vouloir dire. Heureusement,
ce n’était pas encore à Dieu que je
la rendais.
Il n’était vraiment plus question de mouillage
et même à l’abri du port de San Sebastiano,
Ratafia cognait de déplaisir.
Ce petit port de San Sebastiano m’a
vite fait oublier mon rêve de mouillage. Accroché
au pied d’une falaise, entouré de montagnes,
aux portes d’une petite ville très vivante,
il a tout pour plaire. Il nous émeut aussi lorsqu’il
nous rappelle que ses ruelles furent parcourues par Christophe
Colomb qui se recueillit là pour une dernière
messe avant sa traversée de l’Atlantique. Aujourd’hui
encore, on passe le seuil de cette très belle église
avec le sentiment de partager le désir de tous ceux
qui veulent donner un avenir à l’aventure humaine.
C’est la veille du départ,
on est samedi ! L’après-midi, Hugues et moi,
nous faisons une magnifique promenade dans les montagnes.
Le rythme des pieds réveille les souvenirs, ouvre
le futur : on se parle.
Le soir pour notre dernier dîner
ensemble, Cyril nous a repéré un resto sympa
dans la cour intérieure d’une vieille maison.
La cuisine locale y est préparée et servie
par un couple du coin. Excellente soirée. Cyril va
même jusqu’à nous chanter du Brassens.
Et il chante juste, le bougre ! Les deux lascars poursuivront
la soirée dans un bar où des Canariens en
fête, reprennent en chœur des chants traditionnels.
Ambiance assurée…
Pour moi, « plus qu’une fois dormir »
et c’est le départ.
On est dimanche
Une dernière baignade
Je fais ma valise
Hugues m’accompagne au ferry
On s’embrasse fort
Le cœur serré, les yeux très embués,
je lui envoie encore un baiser
du haut de la passerelle
déjà
à distance
mon fils
Bien sûr, il y a eu la séparation
officielle du 20 juillet. Mais après tout, là,
je me disais que c’était un peu comme si Hugues
partait en vacances puisque j’allais le retrouver
assez rapidement.
Cette fois c’était autre chose…
Claire
*Brol : Substantif d’origine
bruxelloise désignant toute sorte de « trucs»
qui le plus souvent ne servent à rien ou pour le
moins sont détournés de leur usage habituel
et dont on n’arrive pas à se débarrasser
sous prétexte que « ça peut toujours
servir »… Mais en fait auxquels on tient beaucoup
pour d’autres raisons profondément inconscientes.
Le brol est le matériel le plus universellement répandu.
Tout être humain possédant du brol à
la cave, au grenier, au fond d’un tiroir ou…
dans la tête.